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Hans vers 20 ans

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Nos cousins d'Helvétie

Le frère cadet de Hans, Gottfried Krebs, qui lui ressemblait, est né le 19 décembre 1890, également à Affoltern. D’après la bible familiale de 1882, son parrain a été son oncle Johannes et sa marraine une certaine "Frau Frei-Lüssi". Il quittera tôt la maison puisque sa mère lui écrit pour l’inviter à son remariage en 1908 - il a alors 18 ans. Elle fait aussi allusion au bon salaire que lui procure une profession qui est peut-être déjà, malgré son jeune âge, celle de douanier. Il sera en effet employé des douanes à Bâle et habitera au n°3 dans le bas de la Leuengasse, une rue perpendiculaire au Rhin. On a une photographie qui le présente en uniforme, une baïonnette au côté, l’air martial. Entiché comme son frère de tradition familiale, il fera exécuter un blason "Krebs" (écrevisse stylisée).

    Il se marie avec Johanna Baldisweiler, puis au décès de celle-ci, avec la soeur cadette Rosa. Ses enfants, Gottfried et Johann, sont nés de son premier mariage; on possède une photographie des jeunes «Godi» (ou «Gotty») et «Hansi» prise en 1925. Alors que Johann meurt à 33 ans sans enfants, son frère Gottfried, en épousant une Tessinoise, Ilda Morandi, implantera une branche de la famille Krebs dans ce canton. Les liens avec la branche française des Krebs perdureront par courrier et visites épisodiques à Astano – où Gottfried/Gotty tenait une épicerie - jusqu’au décès de son fils Egon en 1992. Les deux générations suivantes ne sont plus que des noms consignés par la généalogie.  

 

L'épicerie d'Astano en 1966
(de g à d: Jeanne et Jean Krebs, Ilda et Gottfried Krebs)

    L’installation de la famille en Alsace est confirmée par un extrait du registre d’immatriculation de Mulhouse selon lequel Hans Krebs, rebaptisé Jean par les autorités, déclare, en 1921, être arrivé dans cette ville le 15 novembre 1900 pour y exercer le métier de laitier (il avait en fait 13 ans à l’époque!). Selon les chronologies portées sur la page de garde d’un ouvrage toponymique suisse (Ortslexikon) et sur une enveloppe usagée, il date cette arrivée du 15 octobre déjà. La laiterie, sise dans la rue du Colombier, restera la résidence familiale jusqu’au 31 août 1910. En 1904, une carte postale (Dragons de Lure passant l'Ognon à Villersexel) adressée par un ami de la Haute-Saône à «Krebs Jean, laitier» semble indiquer que dès cette époque, à 17 ans, celui-ci s’emploie à la laiterie familiale sans avoir suivi de formation spécifique. Le bonjour adressé «à tes parents et à Josef» nous informe que la laiterie occupe déjà cet employé qui jouera un grand rôle dans la vie familiale.

Une échappée belle

    Accaparé dès son plus jeune âge par des activités professionnelles contraignantes, Hans a pourtant su se ménager au moins une petite fenêtre de liberté. Une carte routière de la Suisse, encollée sur toile, nous renseigne sur un épisode de la vie du jeune homme. Il s'agit d'une "Profilkarte" à l'intention des cyclistes et motocyclistes, avec indication du dénivelé des pentes. Sur les marges Hans a noté qu'elle a été achetée le 2 mai 1905 chez Charles Bahy, "rue du sauvage homme": le jeune francophile n'a pu s'empêcher de franciser, à sa façon, le nom de la rue (Wildemannstrasse 8). Il indique aussi que la carte lui a servi pour "la grande Swiss-Touring" qu'il a effectuée du 3 (ou 5?) au 12 juin 1905. L'itinéraire suivi a été tracé au crayon bleu: partant de Bâle, il descend vers Lausanne en longeant les lacs de Bienne et Neuchâtel, suit le Léman jusqu'à Aigle, puis oblique vers le nord par Château d'Oex, Thun, Oppligen, Berne, Olten et rejoint Bâle. On ne peut affirmer que le tour a été effectué dans le sens indiqué, mais l'attirance de Hans pour les pays méridionaux plaide plutôt pour cette descente directe vers la Romandie. Le point culminant du trajet d'environ 400km a été atteint au col des Mosses à 1445m, juste après le passage en contrebas de Leysin, la station de cure qui jouera un grand rôle dans cette biographie.

     Hans n'a pas tout à fait 18 ans; son père va mourir soudainement dans le mois qui suit. On peut penser qu'il est parti en bicyclette, le coeur léger et le mollet solide, peut-être sous l'influence du Tour de France dont la première édition date de 1903. Des exclamations notées en marge de la carte (Heil Dir Helvetia! Vive la France! Hurra Germania!) témoignent de l'euphorie suscitée par cette évasion hors du labeur quotidien. On imagine le jeune cycliste dormant à la belle étoile ou dans des granges en ce mois où la nature est douce. On croit deviner aussi ses motivations: désir d'émancipation et d'aventure, attrait pour la patrie d'origine. Oppligen était un passage obligé: il allait enfin connaître le berceau mythifié de la famille. Il a dû rencontrer là-bas son oncle Johannes, resté au pays, qui lui a peut-être offert et dédicacé à cette occasion un vieil ouvrage d'inspiration catholique acheté à quelque colporteur: Trésor littéraire des jeunes personnes (1842). Un autre lieu de mémoire, plus personnel, a été ajouté au stylo sur la carte: Palante, le pays de l'enfance heureuse.


       Que la carte ait été soigneusement conservée indique le prix que Hans attachait à cette escapade dont on ne saurait rien sans ce témoignage. Cette petite aventure est comme une préparation à d’autres échappées ultérieures qui témoignent d’un besoin de liberté – peut-être un héritage du père – qui s’est régulièrement heurté aux nécessités du métier et de la vie familiale. La contrainte ainsi imposée à ce tempérament n’a certes pas été pour rien dans ses tendances dépressives.
















Leuengasse  3  en 1958