Les
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Schmitt / Les Obrecht-Schmitt
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A l'Est rien de nouveau
Où se trouve plus
précisément à l’Est le 44e
régiment
en cette année 1916?
On a, comme seul indice, la mention
manuscrite au dos de deux photos datées
d’août 1916:
«Vor
Dünaburg».
L’unité se trouve donc
devant cette ville de Lettonie (Daugavpils
en letton) qui occupe une
position stratégique sur la Duna. Elle est
engagée dans
une longue guerre de position dans un secteur relativement calme aux
confins de la Prusse orientale et de la Courlande, la province
occidentale de la Lettonie, occupée par les Russes. De juin
à décembre 1916, le général
russe
Broussilov lance certes trois offensives successives, mais celles-ci,
très coûteuses en hommes, portent leur effort sur
le front
Sud qu’elles percent dans les Carpates et en Galicie. La
partie
nord du front reste à l’écart,
d’autant que
le haut commandement allemand, occupé à
l’Ouest, a
décidé de geler ce secteur dans une position
purement
défensive. Alfred se retrouve sur un front relativement
apaisé, en position d’attente: à
l’Est rien
de nouveau...
Le stationnement dans un secteur assez calme expliquerait le nombre de
photographies de cette période parvenues
jusqu’à
nous. Elles sont tirées en général en
format de
carte postale et destinées à être
envoyées
dans les foyers. Le décor est toujours le même:
une
forêt de bouleaux et sapins mêlés; au
milieu des
bois s’élève la silhouette massive
d’un fortin
étayé de rondins de bouleaux, dont le nom
s‘étale, également
confectionné en branches
de bouleaux, au-dessus de l’entrée principale:
«Osterhäusel» [petite maison pascale]. Il s’agit, comme
il est
précisé au dos d’une photographie, de
l’ abri défendant
la position du régiment. Le nom est une allusion plaisante aux
maisonnettes que confectionnaient les enfants afin que le lapin de
Pâques y dépose des oeufs. On trouve encore
l’indice d’une volonté de
dédramatisation
dans un autre détail. Derrière l’abri
on a
élevé une petite stèle
marquée
«Kriegsfeldzug 1916» [campagne 1916] au sommet de
laquelle
un plaisantin a posé une cage d’oiseau. Quelque
part,
à l’écart dans les bois, se trouve le cimetière
du régiment: une cinquantaine de croix de
bouleaux devant une petite chapelle faite du même bois; au
centre
une colonne: 1914-1916.
Dans
ce décor, Alfred est photographié seul ou
encore avec un ou plusieurs camarades. Quand il y a une note au dos de
la photo, elle indique
simplement «Russ[land]feldzug»
[campagne de
Russie]. Les
photographies de groupe rassemblent les officiers: casquette plate,
bottes,
tunique à multiples boutons, poitrine souvent
ornée
d’une croix de fer. Alfred, quand il y figure, se tient en
général discrètement en retrait. Par
exception,
hiérarchie oblige, le «Regiment- Kommandeur»
(peut-être encore le lieutenant-colonel Rudolf Cramer von
Clausbruch 1864-1916) a été
photographié seul,
droit sur son cheval qui semble se tenir au garde-à-vous.
Manifestement, des photographes
accrédités par
l’armée
devaient fournir, en format carte postale, des images
présentant
la vie au front sous des aspects parfois presque
idylliques afin de rassurer l’arrière. La raison
sociale
d'un de ces photographes "de guerre" est indiquée: atelier
C.Overheydt à Sterkrade (Ruhr). Il y a le groupe de
soldats, des lettres et paquets à la main, avec le
commentaire
manuscrit: «Nach der Postausgabe» [Après
la
distribution du courrier]. La carte a été
envoyée
le 23 mai 1916. Il y a encore ces troufions nourrissant des cochons,
sciant des troncs en long, se lavant au ruisseau
(«Generalreinigung» [nettoyage général]), au repos dans un
cantonnement. Un
cliché plus original montre un officier, couché
dans
l’herbe et faisant boire un jeune faon. L’aspect guerrier,
quoique aseptisé, n’est cependant pas
oublié avec
une photo de la tranchée, soldats et officiers le fusil en
appui
sur le parapet, ou cette autre, intitulée
«vorgeschobener
Horchposten» [poste de guet
avancé]: un
officier attend une grenade à la main, tandis
qu’un soldat
observe les lignes ennemies à travers un
périscope. De
certaines vues tout personnage est absent: arbres
déchiquetés devant une position russe, amas de douilles
d’obus ("affectueux cadeaux des Russes"), voie
ferrée
militaire («Feldbahn»),
tranchées vides, étayées de sacs de
sable
Des
images de guerre et de mort, mais l’existence sur le front
russe
semble avoir été relativement calme, sans rapport
avec
les affrontements meurtriers de 1916 à Verdun et sur la
Somme.
S’il faut en croire Jeanne, les belligérants se
prévenaient par des jets de cailloux de
l’imminence des
tirs d’artillerie. Son mari, homme pacifique,
aurait -
toujours
selon son témoignage - volontairement visé trop
haut.
Peut-être - certainement - son mari ne lui a-t-il pas tout
dit,
par pudeur et pour ne pas l’effrayer: rien ne filtre des
combats
et des horreurs de la guerre. De plus, en tant que gradé, il
était
tenu de respecter les strictes consignes de discrétion
concernant les opérations.