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Macaronis
et kougelhopf
Dès
lors Jeanne, en bonne
ménagère, se lance dans la cuisine avec son
petit
fourneau, en commençant par des macaronis aux tomates et une
soupe. Elle note en effet consciencieusement les menus. Selon
l’habitude alsacienne, il doit s’agir des menus du
déjeuner, le souper étant traditionnellement
léger. Cela suppose que Jean rentre à midi - sans
doute
en bicyclette - venant de Rosheim
qui est tout à
côté; d’ailleurs Jeanne mentionne son
absence quand
un jour il ne rentre pas pour le déjeuner à cause
de la
pluie. Les repas sont simples: pour son oncle Paul Schmitt,
qui
leur
rend visite à la mi-octobre, Jeanne prépare des
biftecks-salade et une crème au chocolat. Formée
à la maison par l’exemple, à
l’école
par les cours d’éducation
ménagère, la jeune
mariée, devenue mère de famille, fera plus tard
une bonne
cuisine familiale à coloration alsacienne,
c’est-à-dire que les féculents y
prédomineront sur les légumes, le beurre sur
l’huile. Cette cuisine à l’accent
régional
culmine dans la confection des desserts: kougelhopf du dimanche
(remplacé ultérieurement par une version
allégée, le «gâteau
madeleine», cuit
dans un moule à savarin), tartes aux fruits selon les
saisons,
«schangala» (beignets) à
l’occasion, et
à Noël les «bredala» (petits
sablés)
découpés à
l’emporte-pièce en forme
d’étoiles, de coeurs, etc.
Malgré ces débuts
d’installation les week-ends sont cependant toujours
passés à Mulhouse,
rue de
l’Espérance, avec
souvent un souper chez les Krebs quand on ne va pas skier, comme le 22
décembre au Schaffert
ou le 9 février au
Markstein, ou
encore rendre visite à la tante Sophie,
comme
le 3 mars dans
un
paysage dès lors sans neige. Les jeunes mariés
repartent
séparément, Jean devant toujours prendre son
train
matinal de 6 h 15, le lundi, pour se rendre à son travail,
alors
que Jeanne prend son temps et ne part que vers midi, ou même
dans
l’après-midi. Il lui arrive aussi de
revenir un jour plus
tôt que son mari. On mesure à ces
détails le
caractère provisoire de leur situation: Mulhouse reste pour
le
moment leur point fixe.
Et de fait, cette existence, qui se met timidement en place, va
rapidement être troublée par les obligations
professionnelles de Jean. Dès le lundi 28 octobre, il doit
reprendre le chemin de l’établissement de Stosswihr
- et non plus Rosheim - tandis
que Jeanne reste à Mulhouse. Ils mènent ainsi
à
nouveau une existence séparée durant la semaine.
Jeanne
se contente, deux mercredis de suite, de passer à Stosswihr
en
allant rendre visite à sa tante du Hohrodberg. Nouveau
changement, cependant, au bout d’un mois: c’est
ensemble
que le 25 novembre ils partent de Mulhouse à 6 h 15 pour
regagner Obernai.
La vie commune, interrompue pendant un mois, reprend
dès lors et les menus
refont
leur apparition. Et pourtant la routine n’a pas le temps de
s’installer puisque, le lundi 16 décembre, Jeanne
laisse
à nouveau son mari partir seul - pour Stosswihr? - par son
train
matinal.
Restée à Mulhouse, elle reçoit ce
jour-là la
visite
de son petit-cousin André
Hild.
Celui-ci n'a pas
gardé souvenir de cette visite, mais se
remémorait encore,
en
2005, une autre visite, l’année
précédente, alors que Jeanne
n’était
encore que fiancée; il passait alors par Mulhouse
à l’occasion
d’une
randonnée en vélo jusqu’aux sources du
Doubs avec
des camarades carabins. Après le passage du cousin, Jeanne,
pour se distraire de l'absence de son mari,
accompagne
Xénia en ville, notant dans son agenda à
côté du nom de sa belle-soeur la
parenthèse
énigmatique: «frivolité». Il
est vrai que
Xénia, qui a 20 ans, est encore dans l’euphorie de
son
retour à la vie «normale» et que, par
ailleurs, les
belles-sœurs ne se sont jamais beaucoup
appréciées.
Pour se changer les idées Jeanne
entreprend aussi de petites escapades: elle se rend deux fois
à
Strasbourg où elle rencontre ses anciennes condisciples
Marthe
Stahl et Marthe Schwamb. Le 19 décembre elle entreprend un
voyage de trois jours qui la
mène
à Fribourg-en-Brisgau
où
elle loge la
première
nuit à l'Armée du Salut, puis à
la Pension
Meyer - Röderstrasse. Le
retour se fait par Andolsheim et Horbourg, avec visite à son
ancienne condisciple Mathilde Rebert et à son "cousin" Paul
Obrecht, le boulanger.
Et l’année se termine avec cette note du 28
décembre: «Jean
déménage». Cette
indication sibylline peut se comprendre de différentes
façons: abandon de la chambre d'hôtel à
Stosswihr ou de la chambrette
de Rosheim où il aurait pu
laisser des affaires, ou encore déménagement de
divers
objets personnels depuis Mulhouse. Elle signifie en tout cas la
mutation durable de
Jean et une installation provisoirement stable à Obernai.
L’agenda de
1936 n’étant pas conservé, on ne peut
avoir la
confirmation de ce qui a dû être une bonne
nouvelle. On ne
retrouve le fil qu’en mai 1936 avec le départ pour
la
Tchécoslovaquie.
La tradition familiale a gardé sur un tableau de
marqueterie de l’atelier Spindler le souvenir de
la pittoresque maisonnette de Rosheim,
avec sa petite fenêtre donnant sur la place, comme premier
«nid» - très provisoire – du
jeune
ménage. C’est encore à la ville de
Rosheim que Jean
s’adresse, en janvier 1939, quand il a besoin d’un
certificat de domicile (la commune lui répond en lui
demandant
d’indiquer «chez qui» il a
habité).