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Les Obrecht / Les Hild / Les Schmitt / Les Obrecht-Schmitt

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La patrie commune des morts

On trouve, surtout dans la première moitié des Kriegserlebnisse, l’expression occasionnelle d’une admiration guerrière, comme celle que lui inspire la vue de soldats partant au combat: «Une ardeur martiale étincelle dans les yeux des guerriers. Un coeur vaillant les anime tous et tous ont un air réjoui» [Den Kriegern sprüht die Kriegswut aus den Augen. Frischer Mut beseelt alle und alle sehen wohlvergnügt aus]. Cette remarque est de juin 1915. En janvier 1918 encore, il note en voyant un bataillon défiler musique en tête dans l’avenue de Colmar: «La patrie peut se fier à de tels braves» [Auf solche Tapfere kann sich das Vaterland verlassen].

    Ce patriotisme s’inscrit dans un contexte plus large de fidélité à l’Empereur et, au-delà, de piété religieuse. Un incident caractéristique est sa réaction scandalisée quand il entend un officier injurier la compagnie qu‘il fait manoeuvrer à l‘exercice: «Im Sinne des oberen Kriegsherrn, der den Lenker des Krieges um seinen gnädigen Beistand täglich bittet, scheint heute nicht von diesem Herrn gehandelt worden zu sein» [Ce personnage ne paraît pas avoir agi aujourd’hui conformément aux vues de notre chef de guerre suprême qui tous les jours demande la grâce de son aide à Celui qui régit les destinées de la guerre]. Et ceci, ajoute-t-il, alors que les proches des soldats ainsi maltraités prient à la maison pour leur sauvegarde. Par son milieu, son tempérament et sa profession Jean a développé la conception idéaliste d’une société où chacun, à sa place, oeuvre pieusement pour le bien commun. Il exprime cette idée dans son style un peu guindé d'instituteur.

     La plupart du temps, cependant, il se montre un observateur objectif qui rapporte des faits sans trahir ses sentiments. Il conserve cette neutralité, même lorsqu’il est confronté à des manifestations agressives de nationalisme francophile ou germanophile. Ainsi ne fait-il pas de commentaire quand il relate que sur la croix d’un officier français enterré à Illzach une main a inscrit «Vive la France», et «Merde à la Prusse» sur la croix d’un officier allemand. Il ne commente pas davantage l’injonction officielle de glorifier en classe les victoires allemandes et d’exposer aux élèves les traitements indignes infligés à "nos braves" par l’ennemi.

      Le temps passant et les morts se multipliant dans son entourage, l’aspiration à la paix, exprimée dès Noël 1914, transcende toute velléité de patriotisme. En décembre 1915, il fait un premier décompte des tués, blessés et prisonniers parmi ses connaissances. Plus que les enterrements en grande pompe organisés pour les officiers, ce sont les convois funéraires civils qui le frappent en heurtant son sens de l’ordre des choses. Dès mars 1917, il remarque qu’on ne peut sortir sans rencontrer un de ces cortèges qui manifestent de façon tangible la fragilité d’une population minée par la dénutrition; des gens s'évanouissent de faiblesse dans la rue. A partir de l’automne 1917 la grippe espagnole sévit, et toute la journée il voit passer des convois funéraires dans sa rue. Par la guerre ou par la maladie, la famille proche est frappée; après son gendre Alfred en juillet, ce sont deux neveux qui disparaissent en novembre 1918 à quelques jours d’intervalle: Johann Obrecht et Paul Hild, neveu de son épouse.