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pendant  la bataille





et après 






















Bourtzwiller incendié  

Les Obrecht / Les Hild / Les Schmitt / Les Obrecht-Schmitt

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Flux et reflux militaires

En ce 10 août, ce sont donc des unités allemandes, aux numéros soigneusement répertoriés par les Kriegserlebnisse, qui font leur entrée dans la ville aux vivats de la foule. C’est au tour de ces «braves» de recevoir vin, bière, cigares, chocolat, etc. Toujours curieux, Jean s’empresse le matin d’aller visiter le champ de bataille à Bourtzwiller où les morts sont encore partout dans les prés et les cours de ferme; un soldat s’agrippe encore d’une main au parapet du pont dans la position où la mort l’a fauché. L’après-midi, il se rend sur un autre théâtre d’opérations, à Modenheim, où les morts des deux camps jonchent le talus de chemin de fer. On prépare des fosses communes pour les soldats - 159 allemands et 110 français - et des tombes individuelles pour les officiers - 8 allemands, dont un général de brigade, et 4 français. Il note la réaction d’un habitant d’Illzach qui, à la vue d’un képi français reprisé, feint de s’étonner que les Français puissent prêter 13 milliards aux Russes, mais soient incapables d’habiller correctement leurs soldats.

    Les jours qui suivent sont l’occasion d’un bilan et de règlements de comptes. Au matin du 11, un cadavre de cheval gît encore dans la rue du Sauvage. Dans la rue Franklin portes et fenêtres sont brisées: des «voyous fanatiques» auraient tiré sur les Allemands, comme aussi depuis l’école des Pères d’où quelques ecclésiastiques sont emmenés sous bonne garde. Un détachement de 40 Français, qui se terrait au couvent de Riedisheim, est capturé sur dénonciation; les pères Rédemptoristes, qui les abritaient, sont arrêtés. Des suspects sont conduits en prison; des prisonniers français traversent la ville en fumant les cigares que leur ont offerts leurs «frères d’armes». Une proclamation du «Polizeipräsident» von Rzewuski ordonne aux civils de déposer toute arme en leur possession avant le soir à la Direction de la Police. Le couvre-feu est instauré. Un exemplaire de cette proclamation a été conservé et se trouve dans les archives familiales.

    La journée du 12, un calme inquiétant règne dans la ville; on nettoie les rues. Le 13, Jean assiste au spectacle de deux paysans du Sundgau que l’on mène ligotés devant la cour martiale siégeant à l’Hôtel National; le bruit court qu’ils auraient tiré sur les Allemands. Un avis du commandant militaire, le général von Huene (1849-1924) qui est chargé avec le XIVe corps d'armée de la défense de Mulhouse, prévient que toute personne cachant des soldats ennemis sera fusillée sur-le-champ. La ville grouille maintenant de soldats allemands, principalement des réservistes qu’on reconnaît à leur barbe d’hommes mûrs. Le 14, c’est un va-et-vient de blessés transportés en auto à la Bourse, de prisonniers français et de paysans qui leur seraient venus en aide. Interrogeant un blessé léger, Jean apprend qu’après avoir tué deux Français avec son sabre à Rixheim, il est entré dans une maison d’où les habitants l’ont jeté par la fenêtre, lui causant une luxation de la colonne vertébrale.

    Un incident marque le 15 août, comme si la guerre voulait rappeler sa présence menaçante. On entend une fusillade à 4 h du matin vers Bourtzwiller et bientôt le village entier est en flammes. Jean va contempler ce spectacle d’une «beauté effrayante». Des bruits contradictoires courent à ce propos. Selon certains le feu aurait été mis au village en représailles à des tirs sur des cavaliers allemands, selon d’autres il aurait été causé par inadvertance par des soudards éméchés bambochant avec des filles. Il est avéré, en revanche, que quatre villageois ont été fusillés. Après l'Armistice on apprendra (Mülhauser Tagblatt du 29/11/1918) que le coup de feu à l'origine du drame avait été tiré par un Allemand achevant son cheval blessé; le soldat aurait confessé sa responsabilité avant de mourir à l'hôpital du Hasenrain. Après la guerre un monument sera érigé à Bourtzwiller à la mémoire des victimes de ce "crime des Allemands". Dans l’après-midi, des troupes de toutes les armes affluent dans la ville. Un paysan, un anneau de fer autour du cou, est mené avec un licol par un dragon à cheval, «comme un boeuf à l’abattoir».

    Les trois jours suivants, une attente inquiète couve sous un calme trompeur. La rumeur court qu’on aurait aperçu des cavaliers français; ceux-ci seraient déjà à Lutterbach. Pendant ce temps Bourtzwiller continue de brûler. Le maire de Mulhouse, Hermann Cossmann, un juriste allemand, offre - de la part d’un groupe de citoyens patriotes – 1.000 Marks de récompense pour toute dénonciation de personnes ayant tiré sur des soldats. Des collègues de Jean reviennent de Lutterbach où ils ont effectivement vu cinq dragons français au café Lienemann, place de la Gare. La rumeur en signale ici et là. De Bourztwiller, que Jean va revoir, ne subsistent que des murs noircis. Les quatre fusillés ont été enterrés dans une tombe commune sur le côté nord de l’église du village. Un habitant rencontré affirme qu’ils étaient innocents; l’un d’eux était un anabaptiste qui n’avait jamais touché une arme de sa vie.

    Le 19 août, le flux de la guerre revient en force. A 8 h du matin, une cinquantaine de chasseurs à cheval français font une incursion en ville jusqu’à l’hôtel de ville. La contre-attaque allemande est immédiate et la bataille fait rage aux abords directs de la ville jusqu’à Dornach et Brunnstatt. Les balles sifflent dans la rue de Strasbourg où habitent les Obrecht. En début d’après-midi les Allemands, des réservistes pour la plupart, décrochent avec de lourdes pertes, abandonnant leurs canons qui seront exposés à Belfort. Les Français font leur entrée à 15 h, baïonnette au canon et chargés de trophées guerriers, accueillis - c’est devenu une habitude - avec du pain, des sucreries, des fruits et du vin. On fusille un employé de l’usine Dollfuss, soupçonné d’avoir tiré sur les nouveaux vainqueurs.
Mulhouse est à nouveau française

    Le 20 et les jours suivants, les nouveaux occupants s’organisent. Cavalerie, infanterie, artillerie ainsi qu’une quantité de chasseurs à bicyclette investissent la ville venant de Bourztwiller. Des sentinelles sont postées aux points stratégiques, le maire et des personnalités de souche allemande sont emmenés en auto vers Belfort, tandis que des hauts fonctionnaires français viennent les remplacer, accompagnés par des gendarmes. Sur les voitures on lit l’inscription: «Service automobile des Alpes françaises». L’essentiel des troupes est en effet constitué de chasseurs alpins. Des soldats du 60e RI, sous la conduite d’un capitaine, brisent les boîtes aux lettres et confisquent le courrier. Jean ne manque pas de se rendre sur le champ de bataille de Dornach qui présente encore un spectacle de désolation bien que les morts aient déjà été enterrés. Au loin le canon tonne vers Neuf-Brisach dont certains prétendent - à tort - que la forteresse a été prise par les Français.

    L’ordre français succède à l’ordre impérial en appliquant des méthodes similaires. Un communiqué du général de division Vautier (1849-1930), nouveau commandant de l’armée d’Alsace, déclare que toute personne cachant un soldat allemand sera immédiatement passée par les armes. On introduit l’heure de Paris qui diffère de l’heure d’été du Reich. Les gendarmes conduisent par la rue du Sauvage une vingtaine de personnes prises en flagrant délit de vol dans les champs, parmi lesquelles Jean reconnaît un de ses anciens élèves, un vaurien. Des soldats perquisitionnent la brasserie Spatenbräu, dont le patron a dénigré les Alsaciens, et emmènent tout le personnel, ainsi que différents suspects: un instituteur, un policier, un huissier. Un drapeau tricolore improvisé est hissé sur l’hôtel de ville tandis que retentit l’appel au drapeau. La prise de butin fait aussi partie du nouvel ordre des choses: des soldats sortent des balles d’étoffe du magasin «A la Ville de Nîmes» et les chargent sur un camion. Le calme est cependant suffisant pour que Jean emmène sa famille visiter les ruines de Bourtzwiller incendié. Une inscription à l’arrière d’une voiture proclame fièrement: «Berlin merde».

    Et la guerre se retire, comme elle était venue, avec une étrange discrétion. Le 25 août au matin, on s’aperçoit que les Français se sont évanouis pendant la nuit en emportant leur drapeau. Le haut commandement français s'est résolu à évacuer la ville pour renforcer les troupes sur la Meuse en vue d'une "attaque décisive". Jean ne rencontre plus que trois soldats dont l’un, qui boîte, est soutenu par ses camarades. A 18 h une voiture avec huit soldats allemands, le doigt sur la gâchette, emprunte en trombe la rue de Colmar, réapparaît quelques minutes plus tard et repart à toute allure vers Bourtzwiller. Le lendemain, Jean rencontre cinq soldats allemands en bicyclette à l’auberge «Zum Adler» qui lui demandent le chemin de Richwiller.
Mulhouse est redevenue allemande










  monument commémoratif
    à Illzach-Modenheim







Monument commémoratif
de Bourtzwiller