ancetre1.htmlducoteobrecht.htmlancetres














      ferme à Oppligen  

















     







             

 

 





 



   















                            Greiere (vue satellite)

















Les ancêtres / A l’aube du souvenir / Les Schray et Stoll / Hans et Anna /
Jean et les autres
/

1 > 2 > 3 > 4
> 5 > 6  > 7 > 8

 

Querelles fratricides chez les Krebs

David Krebs, né à Oppligen, a été porté le 30 octobre 1708 sur les nouveaux fonts baptismaux installés dans l'église de Wichtrach deux ans auparavant. En 1746 il épouse Barbara Christen, originaire de Hasli (Hasle) près de Burgdorf au nord de Berne, mais domiciliée dans la commune voisine de Kiesen où son père est meunier. Elle apporte une dot conséquente de 1200 livres qui se situe au-dessus de la moyenne. Comme souvent on a jumelé des noces, et le demi-frère de Barbara, Daniel Christen, s’est marié lui aussi, le même jour, avec une fille d'Oppligen. Les Christen, venant de l’ «extérieur», ont dû produire comme légitimation une attestation du Rév. D. Rünthi, pasteur à Hasli. David Krebs, mort en 1784, a vécu jusqu’à 76 ans, un âge respectable pour l’époque. Il est le premier ancêtre à être expressément déclaré né et décédé à Oppligen (qui s’écrit alors encore Opligen), ce village qui sera la résidence de la famille Krebs pendant plus d’un siècle et demi. 

 
   
                                                                       David baptisé le 30/10/1708

   Comme déjà son père, David, le plus jeune fils de l'Amman, semble avoir voulu préserver dans la mesure du possible un patrimoine familial mis à mal par les partages entre de trop nombreuses fratries et un endettement chronique. Avec ses frères et soeurs il hérite par exemple d'une dette de 90 couronnes, intérêts payables à la Saint-Jacques, ce qui toutefois est minime dans ce milieu. Il semble qu'il y ait eu deux périodes dans la vie de notre ancêtre. Dans une première phase, après le partage tardif de l'héritage paternel le 10 mai 1745, il se contente, ligué avec son frère Niklaus, de se quereller avec le troisième frère Bendicht qui, quoique investi de la responsabilité communale de Dorfobmann, ne recule pas devant les mauvais tours, les injures et les coups.
    Après la mort de son allié en décembre 1750, commence pour David une période plus constructive où les affaires d'argent prennent le dessus. C'est d'abord le long procès qui l'oppose à sa belle-soeur, la veuve de Niklaus, puis une série d'échanges de terrains et d'emprunts dont les registres du tribunal civil de la juridiction gardent la trace. Grâce à ces opérations on a une liste exacte des terres, champs et prairies, possédées par David.

Les conflits

    Le partage de l'héritage paternel, en 1745, avait été remis en cause dès l'année suivante par l'un des héritiers, Niklaus, dans un procès l'opposant à ses frères et soeurs à l'exception notable de David. Niklaus, pourtant, n'était pas pauvre: on sait par un document de 1744 qu'il possédait deux droits d'estivage sur l'alpe de Naters, droits qui se monnayaient cher. Les jalousies et querelles d'argent sont vraisemblablement la cause première des litiges qui vont suivre.
    Une autre source de conflit possible est la question des tutelles et la gestion des finances qui s'y rattachent. En effet Niklaus, puis David sont tuteurs des quatre plus jeunes enfants de leur frère Hans, décédé en 1737 - un neveu et trois nièces - alors que leur frère Bendicht, pourtant leur aîné, ne paraît pas s'en soucier. On possède les comptes de tutelle pour les années 1745-1751. C'est Niclaus qui a la responsabilité de son neveu, lui aussi prénommé Niclaus. Quant à la tutelle des trois filles, Anna, Barbara, Elsbeth, elle est assurée par leur propre grand frère jusqu'à ce qu'en 1748 Niclaus en prenne aussi la charge. Peut-être dépassé par la tâche, mais aussi procédurier vétilleux, il se querelle à propos de l'héritage du grand-père maternel de ses pupilles et s'en prend en particulier à son frère Bendicht qu'il cite à comparaître, à quoi Bendicht riposte en le citant à son tour. Finalement il se démet de ses fonctions en février 1749 et est remplacé par deux tuteurs choisis hors de la famille, jusqu'à ce que David prenne le relais en mai 1751.



    Apparemment David et Niklaus vivent en bonne intelligence et en indivision sous le même toit (ils ne se départageront qu'en décembre 1749), vraisemblablement la ferme familiale où on peut penser qu'ils cohabitent avec la veuve de leur frère Hans et ses enfants mineurs. Sans doute poussé par le mauvais génie de Niclaus, querelleur et ambitieux (il collectionne les dignités villageoises), David fait front commun avec celui-ci contre leur frère Bendicht qui de son côté leur cherche régulièrement querelle.
    David est impliqué indirectement dans un premier incident en octobre 1746. Apercevant Bendicht qui vole des piquets de clôture appartenant à Niklaus, il s'empresse d'avertir ce dernier qui intervient avec le renfort de sa femme et d'un valet. Les injures et les coups pleuvent des deux côtés. Le tribunal partage les torts et renvoie les parties avec une amende.
    En mai 1747 apparaît un nouveau sujet de discorde entre les frères ennemis: la répartition des droits d'irrigation. Cette question de l'irrigation - déterminante pour le rendement des prairies - a toujours été l'occasion de conflits. On a les minutes d'un procès qui en 1675 a opposé le pasteur de Wichtrach à un groupe de villageois - dont déjà un Niclaus Krebs - à propos de l'utilisation du Dorfbach dont la source se situait sur une propriété ecclésiastique.
    David et Niklaus portent plainte contre Bendicht accusé de puiser de l'eau hors de son tour pour irriguer les prés qu'il possède, comme ses frères, dans la Greiere, une vaste étendue de pairie naturelle située entre la rivière Chiese et le coeur du village. Bendicht puiserait de l'eau dès le lundi en plus du mardi qui lui est réservé. Ce faisant il étend abusivement l'autorisation qu'il a de prendre de l'eau le dernier lundi du mois, et encore pour 24h seulement, du lundi midi au mardi midi. Le tribunal renvoie au règlement de l'irrigation établi en mars 1744, confirmé en mai 1745, et invite les frères à un comportement plus fraternel. David, que Bendicht a traité de voleur d'eau (Wasser Schelm), demande réparation pour cette injure. Après audition des témoins Bendicht est condamné aux dépens et à une amende de 20 livres au bénéfice des pauvres.


   
La Greiere

    En octobre 1747 nouveau conflit de clôture opposant David et Niklaus à Bendicht, la fratrie ayant des parcelles contigües de champs et de prairies. Bendicht est accusé d'avoir enlevé et déplacé des clôtures et, par provocation, d'avoir roulé sur un champ ensemencé que ses frères possèdent en indivision. David a pris comme conseiller juridique son beau-père Hans Christen, le meunier de Kiesen qui, lors de la même session, porte plainte lui aussi contre Bendicht qui l'a injurié. Bendicht est condamné aux dépens pour les deux affaires et à des amendes de respectivement 10 et 4 livres.
    En novembre 1749 la question de l'irrigation est l'occasion d'une nouvelle plainte des frères David et Niklaus, assistés du meunier, contre Bendicht accusé de ne pas respecter le jugement de 1747 et de continuer à puiser de l'eau hors de son tour. Le tribunal condamne Bendicht aux dépens et le menace d'une amende en cas de récidive, tout en exhortant à nouveau les frères ennemis à la concorde.
    Ce procès est le dernier opposant les frères Krebs, peut-être parce que Niklaus meurt en décembre 1750. Désormais David paraît plus soucieux de gérer au mieux ses affaires que de s'embarrasser de stériles querelles. On peut supposer aussi qu'à 42 ans il a atteint une certaine maturité.

Les échanges

    Il commence par procéder à des échanges de terrains - en fait de petites parcelles de prairies enclavées - afin d'arrondir sa propriété. Pour les années 1750-51 il existe deux Tauschbriefe, des actes officiels sanctionnant ces échanges, paraphés par le président du tribunal et deux témoins.
    En juin 1750 David conclut un échange avec son frère Niklaus: il offre deux prés (Hausplatz et Bodensitz) et un jardinet attenant (Krautplätzl) contre deux autres (Grossmatt et Loch). L'acte précise les impositions et servitudes attachées aux parcelles, en particulier les droits et devoirs d'irrigation. L'échange étant considéré comme équitable, aucune soulte ne sera due et les frais seront partagés entre les parties.
    En février 1751 il propose à un Niklaus Däpp une prairie limitrophe des terres de ce dernier contre une autre qui l'intéresse davantage, car située en plein "Krebsland". Elle touche à l'ouest à ses propres terres, à l'est et au sud à celles de Niklaus, décédé entre-temps. Cette fois David doit une soulte de 75 couronnes (soit 187 livres) dont 40 payables comptants, le reste au 1er mai assorti d'un intérêt de 4%.
    De la situation de ces parcelles il est permis de déduire que l'habitation de David devait se situer à la sortie Nord-Est d'Oppligen, sur le côté gauche de la route en direction d'Oberdiessbach.



vue actuelle (streetview) du "Krebsland"

    Après le décès de son frère Niklaus David engage, en mars 1751, un procès long et complexe contre la veuve pour tenter de capter son héritage. Son argumentation s'appuie sur une clause du testament du père - Hans Krebs - qui, en patriarche quelque peu abusif, prétendait régenter la succession de ses fils afin d'empêcher la  dispersion du patrimoine.
   
 


Les emprunts    
    Après avoir perdu ce procès assez aventureux et peu glorieux, David paraît avoir eu de gros besoins financiers. Il contracte plusieurs emprunts hypothécaires, ce qui est usuel dans ce milieu rural. Parents et voisins font de même, mais à une échelle moindre. Ces emprunts doivent toutefois avoir l'aval du tribunal qui délivre son autorisation au vu du patrimoine de l'emprunteur estimé par des experts assermentés. Les comptes rendus d'audience nous informent donc exactement sur la fortune foncière de David.
    Une première demande d'autorisation pour un emprunt de 1500 livres est examinée en mai 1753. Selon la formule consacrée cet emprunt est effectué pour le bien du ménage et non à cause de la gabegie du maître de maison. La liste des biens apportés en garantie comprend:

- une habitation avec étable que David partage avec Niklaus et, à partir de 1750, avec  la veuve de celui-ci ainsi que la prairie attenante (Hausmatt) et le four. Le tout pour une superficie d'environ 5 Jucharten (1ha 7a). Au four se rattachent des droits forestiers et à la prairie des droits d'irrigation (du samedi midi au dimanche soir).
- deux parcelles de prairies clôturées, situées dans la Greiere en bordure de la rivère, d'une superficie de 2 Jucharten (86a). Elles son enclavées entre des parcelles appartenant à ses frères et sont manifestement le résultat d'un partage.
- un terrain marécageux (Moos) dit "du chêne" d'une superficie d'un Mad (30a).
- quatre champs cultivables: le vordere Langenberg situé près des communaux (en bordure de l'Aar) et planté de quatre chênes (1ha), le hintere Grossacker (1ha), le Thiergarten Acker (1ha), le Schönbühl Acker (68a 8) au lieu-dit actuellement Schönibüel. Tous ces champs jouxtent des parcelles appartenant à la veuve de Niklaus.

    Ces biens fonciers sont redevables d'impôts payés à la Seigneurie de Thun et à la ville de Berne, en espèces et en nature (épeautre et avoine).
    Il faut porter au passif du patrimoine diverses dettes contractées précédemment pour un total de 3300 livres. David doit aussi une somme de 500 livres représentant la part d'héritage de sa soeur Catharina et 400 livres prélevées sur la dot de son épouse. Compte tenu de ces éléments les trois experts désignés évaluent la propriété à 8700 livres, à la suite de quoi le tribunal délivre son quitus pour l'emprunt. Cette valeur de la propriété permet de classer David parmi les paysans moyennement aisés, entre un Christen Krebs (né 1721) qui possède 6ha 5a d'un seul tenant, estimés à 12000 livres et un Hans Krebs (né 1729) avec 1ha 5a de prairies et 3ha 4a de champs estimés à 4000 livres.
    En octobre 1766: nouvel emprunt de 2000 livres, garanti par les mêmes biens, estimés cette fois à 9270 livres. Enfin en mai 1769 David emprunte 2000 livres gagés sur l'habitation et la prairie attenante, estimées à 4000 livres. Lors de la même session le tribunal examine une seconde demande de 1500 livres, garantie par deux de ses champs et une nouvelle prairie, Hoofstatt, d'environ 60a assortie d'un droit d'irrigation du vendredi soir au samedi midi, le tout étant estimé à 3400 livres. David engage en plus pour ce prêt, comme la loi l'y autorise, la moitié de la dot de sa femme, soit 600 livres. Celle-ci comparaît pour confirmer son accord.

    Lorsqu'il meurt en 1784 David a passablement écorné le patrimoine hérité. Ayant emprunté à peu près la valeur de ses biens, il a dû laisser peu de chose à ses deux fils, en particulier au cadet par lequel se continue notre lignée. C'est le début d'un déclassement qui est confirmé, deux générations plus tard, par le recensement de 1837 (cf. p.5).
   
    Avec le fils de David, Hans Krebs, né à Oppligen et baptisé à Wichtrach le 25 juillet 1751 dans l'église nouvellement reconstruite, on rejoint l'esquisse de généalogie établie en 1929, à la demande de la famille, par un secrétaire communal d'Oberdiessbach qui était remonté jusqu'à cet ancêtre. 




    Par Moritz (1589), Niclaus (1621), Hans (1655) et David (1708) on a suivi la chaîne des générations qui unit, par-delà deux siècles, deux homonymes, le Hanns Kräps, né vers 1550, et le Hans Krebs de 1751. Pendant que s'écrivait la petite saga familiale l’Histoire continuait sa marche, passant de la Renaissance et de la Réforme à l’ère baroque avant d’arriver à l’âge dit des Lumières. Les événements du monde extérieur n'éveillaient que de lointains échos dans la trame des travaux et des jours, à travers par exemple les récits d'un parent revenant du "service étranger", plus heureux que ce sergent Johannes Krebs qui, engagé dans la campagne d'Egypte de Bonaparte, décède en août 1799 à Alexandrie.

  Historiquement on sait que l'Emmental s'est trouvé au coeur d'un épisode dramatique: la révolte de 1653 des paysans insurgés contre la confiscation du pouvoir et des richesses par une oligarchie patricienne. L'apparition d'une comète en décembre 1652 avait préparé les troubles qui éclatent en janvier 1653 et s'étendent aux cantons de Berne, Lucerne, Bâle et Soleure. L'élite paysanne, constituée par les maîtres des grands domaines, fournit les principaux meneurs (Ulrich Galli, Hans Rüegsegger) qui furent exécutés après l'échec militaire de la révolte en juin. Les autres s'en tirèrent avec une amende, comme ce Krebs, greffier (Weibel) de Niederwichtrach, et deux délégués d'Oppligen qui durent débourser chacun 90 couronnes.

     Plus tard on vit passer dans la plaine les soldats du maréchal Brune, apportant les idéaux de liberté et d'égalité, et - plus prosaïquement - réquisitions et pillages. On a conservé les "comptes de guerre" (Kriegsrechnungen) de Wichtrach pour les années 1800-1802, à l'époque de la République Helvétique sous tutelle française. La commune est alors dirigée par un comité démocratiquement élu de cinq membres et d'un "Municipal", Hans Krebs (1758-1828), dont le père et le grand-père avaient déjà occupé des fonctions administratives sous l'Ancien Régime. Les livres comptabilisent principalement les dédommagements par la commune des réquisitions temporaires ou définitives de chevaux et les réquisitions de transport. Ainsi en septembre 1801 notre ancêtre Hans Krebs (1751-1829) est indemnisé à hauteur de 38 couronnes pour un transport d'une durée de 9 jours. L'aubergiste de Kiesen reçoit des compensations pour les frais de bouche des officiers recruteurs et trois habitants pour des dégâts occasionnés par des tirs de troupes bernoises. Pour 1800-1801 ces remboursements représentent plus de la moitié du budget communal et encore un tiers en 1801-1802.

    L'invasion étrangère fut l'occasion d'un événement plus tragique qui se produisit précisément à Wichtrach: le massacre du général de l'armée suisse Karl Ludwig von Erlach par des fusiliers de sa propre troupe, ivres et exaltés par des rumeurs de trahison, faisant retraite après la déroute du Grauholz devant Berne le 5 mars 1798 (où 4 soldats originaires d'Oppligen trouvèrent la mort). Dans le registre des décès le pasteur de Wichtrach, Rudolf Rennger, relate les faits qui se sont déroulés devant une auberge de la grand'route (Beim Häsi) à 3h de l'après-midi. Le général a été discrètement inhumé contre le mur de l'église et le registre indique, par une note en marge, qu'il est interdit de creuser à cet endroit marqué d'un simple "E". Aujourd'hui une plaque commémorative rappelle le drame.





            maison typique à Kiesen