Les
Obrecht / Les Hild / Les
Schmitt / Les Obrecht-Schmitt
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Une enfant sage
Comme
tout
enfant, elle a des sautes
d’humeur, passant facilement de la gaieté aux
pleurs. Jean Obrecht la trouve un jour «insupportable», et le
lendemain
il s’attendrit parce qu’elle l’appelle
son
«grand papani». Il lui arrive de "faire de la
musique de
table" (pleurnicher), comme dit son grand-père, mais elle
est en
général gaie et
s’exalte alors en chantant et dansant. Dans ce cas il faut
que
les grands-parents - pas sa mère - participent à
la
danse. Une remarque qui revient plusieurs fois est son bavardage
exubérant d’enfant éveillée
et confiante:
elle est - selon l’expression familière
- un
«Plappermäulchen» [petit moulin
à paroles].
Elle fréquente volontiers les petits
voisins, particulièrement Pierre Wanzenriether, et
lorsqu’on joue
"à l’école", elle tient naturellement le
rôle
de la maîtresse. Cette vocation lui vient certainement de son
grand-père à qui il arrive de jouer à
l'école avec elle et qui l’a emmenée
dans sa
classe de "grands",
où elle s’est plu au point de ne plus vouloir
retourner avec les petits. Sur une photo de sa classe, en 1917 ou 1918,
il l’a placée devant lui en invitée
d’honneur, un grand noeud dans les cheveux, le visage amaigri
par
un récente maladie ou le rationnement alimentaire. Jean
emmène aussi parfois sa petite-fille dans ses excursions
urbaines; alors qu’elle est âgée de deux
ans et
demi, il la promène ainsi un jour en ville, en
plusieurs
sorties successives, pendant 6 heures en tout.
"Hansi"
commence
l’apprentissage de la lecture et de
l’écriture à la maison dès
cinq
ans en
mars 1917. Elle rechigne toutefois quand son grand-père
l'astreint à des exercices
d’écriture à son retour
après 16 heures, mais "Muss ist eine harte Nuss"
[Nécessité fait loi]. En mars 1918 elle sait lire
l’heure. C'est le 9 avril 1918, donc une semaine avant son
sixième anniversaire, qu'elle va pour la première
fois à l'école (Koechlin?), dans la classe de
Melle Klaiber. Cette date est celle du début de
l'année scolaire qui se situe après les vacances
de Pâques. Le temps est couvert et gris, mais c'est avec
plaisir qu'elle inaugure cette nouvelle phase de son existence.
Elle traverse
plusieurs épisodes de maladie, dont
la rougeole et la scarlatine qui fera mettre la maison en quarantaine.
Le médecin de famille, le Dr. Stephan, est
celui-là
même qui la soignera encore vingt ans plus tard quand elle
sera
institutrice. A l’occasion de cette maladie, qui la tient
trois
semaines au lit en octobre 1917, son «Grossvatti»,
qui lui
raconte parfois des histoires le soir, se surpasse en lui en contant
treize à la file. Il est vrai que, interdit
d’école
pour cause de contagion, il s’ennuie autant que sa
petite-fille
à la maison.
On a vu qu’il restait des traces d’une
correspondance entre Hansi et son père au front. Elle envoie
en particulier une photographie d’elle en sage écolière
de six ans, cartable sur le dos, à la Pentecôte
1918. Sur ce portrait, tiré le 5 mai par un photographe de
la Cité, elle présente comme sur ses autres
photographies de petite fille le visage rond caractéristique
de sa
mère. Lorsque son père revient en permission elle
se
réjouit de sa présence, une fois passé
un seuil de
timidité. Plus que cette absence, sans doute
modérément ressentie, c’est la
disparition de son
père qui a été un
élément
déterminant de son existence. Elle a
été
élevée par sa mère
endeuillée, puis quand
celle-ci s’est mise à travailler, par ses
grands-parents,
des gens chez qui l’âge avait accentué
une certaine
rigidité naturelle. On peut trouver dans cet environnement
austère l’explication de la tendance de
Hansi/Jeanne
à une introversion mélancolique
qui contraste
avec sa
première nature enfantine. Elle avait conscience de ce que
sa
vie aurait été différente si elle avait
bénéficié d'une présence paternelle. Est-ce
un hasard si elle
décèdera un 2
novembre, jour anniversaire de la mort de sa mère? (mais non au
même âge comme elle s'y attendait).
Après
ce coup de projecteur sur la petite enfance, on perd la trace de Jeanne
pendant plusieurs années avant de la retrouver à
la fin
de l’adolescence. A
l'époque elle fréquente
l’Ecole
primaire supérieure ["Mädchenmittelschule"],
ouverte en 1903 au Quai du Fossé. Il s'agit d'une formation de
trois ans qui
conduit au brevet supérieur qu’elle
passe
en 1929
à 17 ans. Cette filière est la voie
généralement suivie par les filles qui veulent
devenir
institutrices. On a donc choisi pour la jeune orpheline la voie moins
"noble" que le lycée de filles qui a été
inauguré, rue de Metz, en 1912 et qui est encore
réservé à une "élite". Pour parfaire sa
formation Jeanne a encore passé, l'année de son brevet,
un diplôme de
sténographie
française (100 syllabes à la minute). Elle n'a
jamais
pratiqué ni même mentionné
cette compétence sans doute acquise par
précaution
à l'instigation de sa mère.
On devine
désormais autour d’elle un petit cercle
d’amis, constitué en classe ou dans les
activités
paroissiales. Après un hiatus d'une dizaine
d'années on
retrouve à nouveau des photographies de Jeanne, qui sont le
signe d'un élargissement de ses relations et d'un renouveau
d'activités. En 1928 elle passe des vacances à
Labaroche,
dans une maison plaisamment nommée "villa Duck Di"
[baisse-toi]
dont elle nous a laissé une esquisse. A Pâques
1929 elle
est au Hohrodberg en
famille. A la Pentecôte elle effectue une "joyeuse
rentrée
du Ballon" et pose au Markstein avec
trois jeunes gens dont elle a
noté les noms:
Elfriede, Gertrude Platz et René Lix. En mai elle participe
à une journée de la Jeunesse protestante
à
Altkirch, puis en juin on la trouve au lac d'Alfeld avec des amis. Le
11 juillet de cette même
année, elle est dans le jardin familial à
Modenheim avec
une amie; au dos de la photographie elle a inscrit: «Quand
nous
avons
bûché pour la dernière fois
avant... ».
Il faut comprendre: avant d’intégrer
l’Ecole Normale
d’institutrices à la rentrée de 1929
(on retrouvera
d’ailleurs cette amie sur une photo prise dans la cour de
l’Ecole). Auparavant elle aura passé le mois
d'août
au Hohrodberg, parcourant les sentiers avec de nouvelles connaissances
parmi lesquelles un Charlot qui lui dédie une
photographie "en souvenir de la clique de la main gauche".
D'après la qualité de certains clichés
on devine
dans le groupe un photographe doué ou, au moins,
doté
d'un bon appareil.
Outre les photographies une cinquantaine de dessins
conservés
accompagnent le passage de l'enfance à
l'adolescence et juqu'au seuil de l'âge adulte.
Le plus ancien est un "devoir de vacances": une carotte et un navet
dessinés à l'âge de 10 ans et demi; les
derniers et
les plus nombreux datent de l'Ecole Normale. Dans ces exercices
imposés les fleurs dominent avec les motifs
décoratifs et
les études de perspective. Quelques condisciples
de l'E.N.
ont
été aussi "croquées". Plus original
est un bloc de
croquis personnels avec un affectueux hommage de Jeanne à
son "grand-père lisant" ou un "lever de soleil au Hörnleskopf". Ces
dessins sont familièrement signés "Hansi" alors
que les ouvrages scolaires sont marqués "J.Schmitt", une signature à
laquelle
Jeanne s'est essayée en marge d'un des dessins et qu'elle ne
modifiera plus.