Les ancêtres / A l’aube du souvenir
/ Les
Schray et Stoll / Hans
et Anna /
Jean et les autres
/
1 > 2 > 3
>
4
>
5
Quand la famille se recompose
Au moment où naît la cadette Anna Sophie Schray,
le 16 août 1881,
le père est revenu à
Mulhouse
-
ville devenue allemande entre-temps - et tient un commerce de
boulangerie, 25 Gerechtigkeitsstrasse (rue
de la Justice), une adresse
aujourd’hui occupée par un immeuble
récent.
Anna
naît donc dans une ville qui fait alors partie de
l’Empire
allemand, de parents originaires du Wurtemberg. Certes sa
grand-mère maternelle a renoncé à
cette
citoyenneté wurtembergeoise, mais elle a vécu
ensuite en
Alsace annexée et a dû être
intégrée
automatiquement par les autorités du Reich. Il semblerait
donc que la situation d'Anna ne diffère pas de celle de l'ensemble
des
Alsaciens, citoyens allemands jusqu'en 1918. Ce n’est
pourtant
pas l’avis d’une administration
française
tatillonne et revancharde qui lui reproche tacitement de ne pas être alsacienne "de souche". Apparemment des
démarches ont été entreprises en 1921
pour clarifier sa situation, peut-être en relation avec
l’épisode de la prison pour désertion
de son mari:
en effet, quelles autorités fallait-il faire intervenir en
priorité? Dans un premier temps, un extrait du registre
d’immatriculation de Mulhouse du 2 avril 1921 atteste
qu’Anna est devenue suissesse
par son mariage. Cependant,
quand
elle veut se faire reconnaître également la
nationalité française, à
l’instar des
Alsaciens qui ont été
«réintégrés» de
plein droit, un
«certificat» de la mairie, de septembre de la
même
année, lui oppose une fin de non-recevoir. Constatant
qu’elle est devenue suissesse par mariage,
l’administration
communale affirme:
«Avant
cette époque elle était à
considérer comme
ne possédant aucune
nationalité vu que le
père August Wilhelm Schneider, né le 9 juillet
1851
à Alpirsbach (Wurtemberg) avait perdu la
nationalité
wurtembergeoise par la Bürgerrechts-verzichtsurkunde du 16
novembre 1859 par sa mère Wilhelmine Schray qui avait
quitté son pays pour se fixer à Mulhouse.
L’intéressée aurait
été
réintégrée de plein droit dans la
nationalité française en application du
§ 1 N° 3
de l’annexe à la section V du Traité de
Versailles,
si elle n’avait pas acquis la nationalité suisse
par son
mariage».
Si on
suit ce raisonnement, il apparaît paradoxalement
qu’elle était apatride avant
son mariage, de
même
que son père et sa grand-mère, mais
qu’elle aurait
cependant pu être
«réintégrée»
dans une nationalité française qu’elle
n’a
jamais eue. L’arbitraire de cette décision
apparaît
encore quand on sait qu’elle avait été
enregistrée comme allemande quand elle était
venue
travailler en France, quelque 20 ans auparavant. Cette réaction
traduit la réticence de l'administration française
à accorder la citoyenneté à toute personne ayant
des liens, plus ou moins lointains, avec les "boches". Une erreur s'est
par ailleurs glissée dans ce texte: le père d'Anna Schray
étant A.W. Schray et non Schneider qui est le nom de son épouse. Il reste
heureusement à Anna cette nationalité helvétique
qui lui
est
encore confirmée après la seconde guerre
mondiale, en
1945, par une «fiche de recensement». Par la suite
elle
aura droit en France, comme son mari (et encore comme son fils Jean),
à
une carte de résident privilégié.
Alors qu’Anna est âgée de 6 ans, sa
mère se
remarie, dans des circonstances sur
lesquelles on reviendra, avec Johann
Gottlieb Stoll, un
maître
tailleur de pierres. Il semble que le beau-père favorisait
ses
propres enfants, Eduard/Édouard
et Johanna/Jeanne
au
détriment de ceux du premier lit, et qu’Anna en
ait
souffert. Alors que son demi-frère Eduard Stoll fait des
études secondaires et deviendra inspecteur des Postes, Anna
Schray est astreinte avec sa soeur Marie
à participer
à
la taille des pierres dans l’entreprise de son
beau-père.
Sa scolarité se terminera à 13 ans avec la fin du
cycle
élémentaire
(Schul-Entlassungs-Zeugnis du
11 août 1894). Les bulletins scolaires - deux par ans,
signés en général par sa
mère - sont issus
de l’école élémentaire
Koechlin pour les
années 1889 à 1892 et de la Lothringerhofschule
(école de la Cour
de Lorraine,
21 rue des Franciscains) pour les quatre semestres 1892-94. Les
mentions sont constamment "genügend"
[passable] et "gut" [bien], sauf pour le travail manuel,
noté "sehr gut" [très bien], comme parfois
aussi la
religion. Cette excellence dans les travaux ménagers va
servir
à la jeune Anna dans ses activités à
venir.
On a eu la surprise de découvrir dans les archives de
l'état civil qu'Anna avait eu deux jeunes soeurs que l'histoire
familiale a entièrement occultées. Il s'agit de Luise, née en 1883, et Bertha,
née en 1884. Ni l'une ni l'autre n'ont atteint leur 3e mois, ce
qui explique qu'elles soient tombées dans l'oubli le plus
complet, aucun membre de la famille n'ayant jamais fait allusion
à leur brève existence.
jetons de la brasserie Schäfer