Les
ancêtres
/ A
l’aube du souvenir / Les Schray et Stoll / Hans
et Anna /
Jean et les autres
/
1
> 2 > 3 > 4 > 5
En effet, au
plus tard en 1899
et jusqu’en 1907,
donc de 18 à
27 ans,
Anna sera «placée»
comme
cuisinière, femme de
chambre et vendeuse dans différentes localités de
Franche-Comté et d’Alsace. Ses certificats ont
été précieusement
conservés,
peut-être parce qu’ils étaient tous
élogieux.
Pour sa première place la jeune femme reste à Mulhouse
auprès d’une Mme von Banck, 29
Baslervorstadtstrasse (rue
de Bâle) qui, par un certificat en date du 22 janvier 1900,
la
qualifie de «arbeitsam, treu und ehrlich»
[travailleuse,
fidèle et honnête]. Le document ne
précise pas
combien de temps a duré ce premier engagement.
C’est
à Mulhouse encore qu’est établi le
certificat
suivant, du 23 janvier 1901, pour 9 mois par une Mme Joh. Steffen qui
déclare: «ich war besonders zufrieden»
[J‘ai
été particulièrement satisfaite].
On peut penser
que, comme il est de tradition à
l’époque, Anna se décide (à
moins
qu’on ne décide pour elle) à passer un
certain temps en France pour y apprendre la langue et les bonnes
manières. Un extrait du registre d’immatriculation
de Montbéliard
nous apprend qu’Anna Schray, de
nationalité allemande, arrive dans cette commune le 12 mars
1901
pour y exercer la profession de domestique chez Mme Coulon, sur la
Place d’Armes - autre nom de la Place Denfert-Rochereau
où
les deux cartes postales conservées de cette
époque lui
seront adressées. Le verso du
document d’immatriculation indique le 18 août 1903
comme
date de départ de Montbéliard, ce qui correspond
à
la date du certificat rédigé par sa patronne
disant
qu’Anna, «honnête en toutes
choses», est
restée à son service «deux ans et demi
à peu
près» et que «après avoir
appris le
français [elle] a été vite au courant
de la vente
dans mon magasin», mais qu’«elle
préfère se rapprocher de sa famille».
Anna serait
donc passée de l’état de domestique
à celui
de vendeuse? L’explication pourrait être fournie
par un
certificat intermédiaire, établi par Mme Fanny
Coulon
le 21
mars 1902,
attestant qu’Anna est «intelligente et
gaie», «travailleuse et propre» et
qu’«elle sait faire une cuisine
bourgeoise». Il est
possible que la patronne, voyant partir une domestique
appréciée, se soit ravisée et lui ait
proposé, après la rédaction de ce
premier
certificat, de revenir à son service en tant que vendeuse.
Sur
son acte de mariage Anna apparaît toutefois comme
«Köchin»
[cuisinière]: la
cuisine semble donc
avoir été sa principale activité. Elle
sera en
effet une excellente cuisinière, recevant plus tard ses
enfants
et petits-enfants en fabriquant par exemple elle-même ses
pâtes qu’elle coupait et faisait sécher
sur les
dossiers des chaises du séjour. De par son métier elle
connaissait les
usages du marché et du marchandage; elle
développera
même une âme de brocanteuse, achetant des objets
dont elle
n’avait guère l’utilité, mais
qui lui
paraissaient intéressants (ainsi, entre autres, un fauteuil
«Dagobert» aux incrustations de nacre, un
Littré
en 4 gros volumes et même une collection en 16 volumes des grands
auteurs classiques allemands, jamais feuilletés bien entendu).
Sur une
photographie, prise à l’époque
à Montbéliard,
Anna Schray pose debout à côté
d’une inconnue
assise (une collègue de travail?), en longue robe noire
agrémentée d’un col montant de
dentelle,
d’une chaîne et d’une boucle de ceinture.
Elle a un
chignon, la taille fine; sur son visage rond aux lèvres
ourlées flotte un léger sourire ; sa
chevelure
paraît châtain foncé. Un passeport
définit
ses yeux comme gris bleus et lui attribue une taille de 1,60 m. Sur une
photo de 1920, malgré ses grossesses, elle n’a
guère changé alors que plus tard elle
s’empâtera. En 1944 sa fille Xénia, qui
ne l’a
pas vue depuis longtemps, lui demandera au reçu
d’une
photographie si elle a désormais les cheveux blancs.
Anna a
dû garder des contacts amicaux de son passage
à Montbéliard où, quoique d'humeur peu
voyageuse,
elle se rend encore en novembre 1913. Elle a emmené avec
elle son jeune fils Jean
qui n'a guère plus de trois ans. L'enfant est
"très
fatigué" par le voyage, mais pour sa mère c'est
sans
doute l'occasion de montrer à ses anciens patrons sa
réussite sociale et familiale.
La Place d'Armes vers 1900