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Et Xénia, la cinquième, va derrière
Xénia
Anne Louise Krebs
naît
le 21 août 1915 à Mulhouse.
N’appréciant
guère son prénom exotique
(puisé par sa
mère dans un roman), elle se fera parfois appeler Anne ou
Annette. Elle prétendait que son seul homonyme
était une
chienne qu’elle avait un jour entendu appeler ainsi par sa
maîtresse dans la rue. La prononciation offre
d’ailleurs
des difficultés au Français moyen qui transforme
le nom
en «Zénia» ou même parfois -
comme sur une
carte de transport pour personnes à mobilité
réduite - le confond avec «Sonia».
Elle est
l’écrivain
de la famille, une vocation
née
certainement au cours de ses années
d’immobilisation en
sanatorium. Comme le domicile de ses parents est resté son
point
fixe, elle y a accumulé un volumineux paquet de courrier,
principalement des cartes postales, qu’elle a
envoyées
à sa famille ou qu’elle a reçues de ses
compagnes
de sana, puis de ses collègues infirmières et des
patients qu’elle a soignés. On garde
d’elle
l’ébauche d’une
épopée dramatique, en
partie versifiée (La Xéniade),
consacrée
à la ville de Mulhouse, ainsi que quelques interminables
poèmes allégoriques, le tout conservé
dans un fort
cahier à couverture verte. Douée d’un
talent
certain pour la formule bien tournée, elle gagnera en 1973
un
concours de la ville avec ce slogan: «Chien bien tenu = chien
bienvenu».
L’histoire de sa vie est inséparable de la maladie
(tuberculose osseuse ou coxalgie) qui l’a laissée
définitivement handicapée.
Lettres
et cartes permettent de reconstituer plus ou moins l’histoire
d’une longue lutte qui a aboutit à la
stabilisation de son
état. Moralement et financièrement, les soins qui
lui ont
été prodigués pendant des
années ont
pesé lourdement sur l’existence de ses parents, d'autant
que la maladie s'est déclarée à peine son
père revenu d'Algérie après sa libération.
Xénia en est plus particulièrement consciente
quand elle
vit loin d’eux pendant la guerre; dans une lettre
qu’elle
leur écrit, en 1944, de Toulouse elle reconnaît
combien
leur vie aurait été différente
«si les
Assurances Sociales s’étaient
chargées de mes
frais de maladie». On a gardé quelques cartes
postales
envoyées par Anna lors des visites à sa fille, et
en
2004, lors de la vente de la maison familiale, toutes les factures des
séjours en maison de cure se trouvaient encore soigneusement
conservées.
La
première allusion à la maladie est cette lettre
de la
directrice du Lycée
de jeunes filles (le futur
Lycée Montaigne),
en date du 4 octobre 1922, disant
qu’elle a
appris «avec un très vif regret» que la
petite
Xénia, malade, ne pourra pas revenir à la
rentrée.
Commence alors, à l’âge de 7 ans, le chemin de croix des sanatoriums.
La première station a
été Berck
d’où elle donne de ses nouvelles
à son frère Jean d‘une
écriture encore
enfantine: «je fais des cures de soleil».
L’exposition au grand air et au soleil, à la mer
ou
à la montagne, était en effet à
l’époque la seule thérapie connue. La
famille a
conservé, en souvenir de ce premier séjour, une
pochette
de vues en petit format de Berck-Plage au début du XXe
siècle.
Peut-être a-t-on pensé un moment qu’elle
était guérie, avant qu’une aggravation
ne nécessite un traitement plus intensif. La
nationalité de son père et la recherche de soins
de qualité, quel qu’en soit le prix, font alors
choisir les montagnes suisses: ce sera donc Leysin pour un long
séjour dans cette station de cure de réputation
internationale. Diverses cartes postales montrent le vieux village,
groupé autour de son église et dominé
par les sanatoriums et les chalets
de cure, des enfants plus ou moins dénudés
allongés dans une longue galerie ouverte
ou encore des «convalescents du Dr Rollier» sur une
prairie
alpestre. C’est ce «Docteur Soleil»,
Auguste Rollier
(1874-1954), qui avait eu l’idé de
pratiquer
l’héliothérapie dans ce village des
Alpes vaudoises
réputé pour la salubrité de son
climat. Il ouvre une première clinique au Chalet en 1903. La
station
comptera jusqu’à 80 établissements de
soins. Xénia y
fera de
longs séjours, principalement dans
l’établissement La Rose des Alpes.
De la liasse des factures mensuelles
retrouvées on n’a gardé pour les
archives que
quelques exemplaires, dont les deux premières, qui
concernent
les mois de novembre et décembre 1922. Celle de novembre
mentionne: «Xénia a été
radiographiée
et le Dr Rollier vous écrira»; c’est
donc le grand
patron lui-même qui a accueilli la petite malade. En
août
1931 encore, une facture portant comme en-tête: Les Frênes - Clinique du
Dr Rollier, attestera un examen radiologique.
Cet
établissement des Frênes,
fondé en 1909, avait été la
première grande
clinique ouverte par le Dr. Rollier qui finira par en
posséder
18. Son aménagement en faisait un hôtel
confortable
doté d'un hall central où l'on proposait films, concerts et
autres divertissements aux patients. Le toit était
occupé
par un vaste solarium accessible par un ascenseur. La partie proprement
médicale était séparée de
l'hébergement et il est vraisemblable que Xénia
n'a
fréquenté Les
Frênes
que pour des examens et n'a pas
été logée sur
place dans cet environnement luxueux et hors de prix. En 1931
l'établissement était dirigé par
Frédéric Tissot qui sera l'artisan de la
reconversion de
Leysin en station touristique.
une galerie de
cure
On ne
sait pas avec certitude combien de temps a duré ce premier
séjour commencé fin 1922; la
correspondance de
cette toute petite fille devait
se
réduire à peu de chose et n’a pas
été
conservée. Il existe cependant deux cartes
expédiées à une date non
précisée du
Territet, au bord du Léman, par Xénia et sa
mère.
C'est à la gare du Territet,
et non à Montreux,
que s'arrêtaient à l'époque les trains
internationaux dont l'Orient-Express; il fallait ensuite gagner Aigle
et prendre le chemin de fer à
crémaillère qui, depuis 1900, menait à
Leysin. Ces cartes ont dû être écrites
soit lors de
visites, soit
déjà sur le chemin du retour qui a lieu au cours
du
premier semestre 1924. En effet, il existe une carte de Berck de
juillet de cette année rédigée par la
même
main enfantine. Cela ferait donc, pour ce premier séjour
à Leysin, une cure d’environ un an et demi.
Sans
doute a-t-on considéré, après Leysin,
que
Xénia était guérie et c’est
pour parfaire
les bienfaits de la cure alpestre qu’on l’a
envoyée
une deuxième fois, en été 1924, au
bord de la mer
dans l’autre grand centre de soins de la tuberculose:
à Berck. Il
s’agit d’un séjour de
courte
durée de 27 jours, attesté par une facture de la Villa
Marie-Eugénie du 30 Juillet 1924; la facture de la
taxe de
séjour porte également cette date.
Xénia reprend
alors contact avec la vie «normale». Elle retourne
à
l’école, et l’année 1926-27
la trouve
réinscrite au lycée en classe de 6e 1. Ses
parents
acquittent ainsi pour le 3e terme de 1927 la somme de 144,50 F.
Y a-t-il
alors des symptômes de rechute ou est-ce une simple
précaution? Toujours est-il qu’en juillet 1927
Xénia est en clinique à Bâle.
D’après
la carte qu’elle envoie à ses parents, elle y est
plutôt en observation ambulatoire puisqu’elle
annonce:
«J’ai
déjà visité une partie de
la ville. Je passe presque toute la journée au
jardin».
L’élégance de
l’écriture
témoigne des effets du retour à
l’école.
L’été suivant, en juillet 1928, on
envoie à
nouveau Xénia en clinique pour observation, cette fois
à La
Nichée à Leysin, qui établit
une facture pour 16 jours de
pension. Sur les photographies qui la montrent en cette
année
1928 en compagnie de son frère Robert et avec,
alternativement,
le chien «Rattala/Ratti» ou le cheval
«Schimmeli»,
elle semble épanouie
et en bonne santé.